Alice s’était rendue à l’endroit indiqué par le seul papier qu’elle avait à sa disposition. Tout avait tellement changé depuis sa transformation. Chacun de ses gestes devaient être exécutés avec soin et précision, elle devait toujours nier sa véritable nature, ne pouvant en profiter qu’à la nuit tombée, lorsque le calme reprenait possession de la maison et que doucement le sommeil se glissait sous les paupières des plus infatigables. A cet instant seulement, elle pouvait sortir et marcher dans la vallée, avec le seul bruit de ses pas sur l’herbe humide. Elle ne se souvenait même plus comment elle avait trouvé cette petite brochure insignifiante et qui pourtant portait son nom. Une école spéciale pour un destin spécial. Elle n’avait pas essayé de comprendre et les raisons de son choix sont pour elle-même incertaines. Elle a seulement pensé que ce serait mieux, pour elle et peut-être aussi pour eux.
Soudain, un petit bus d’aspect tout à fait banal apparu, semblant sortit de nulle part, comme si elle l’avait fait apparaitre le temps de cligner des yeux. La porte coulissante s’ouvrir, découvrant un vieux chauffeur assez étrange, comme entouré d’une aura assombrie et impénétrable. Elle grimpa dans l’engin, tendant son papier au vieil homme qui lui adressa un petit bonjour courtois, fermant la porte derrière elle. Elle s’assit dans le fond, près d’une fenêtre. Elle jetait un coup d’œil sur les autres passagers. Deux filles parlaient avec entrain, agitant leur bras comme des moulins à vent, sans doute l’une d’elle espérait-elle décoller. Plus avant encore, se trouvait un jeune homme seul, le regard fixe et glaçant, comme un éclair transcendant bleu acier. Le genre de type à faire froid dans le dos. Alice pour sa part sortit un mini Mp3 et lança un vieux rock avant d’appuyer sa tête contre la vitre, regardant une dernière fois la ville qu’elle quittait pour au moins un semestre.
Le bus démarra, faisant plusieurs arrêts sans pour autant se remplir complètement. Alice regardait les nouveaux arrivants choisir leur place, se rassemblant en bande pour se raconter leurs dernières vacances. Il n’y avait rien de différent, ils étaient des monstres, lui, ce type, elle, elle-même en était un et pourtant rien en apparence ne permettait de percer le mystère de leur nature intérieure et profonde. Ce voile entre réalité et absurde lui semblait mince et de plus en plus futile. Ses yeux n’avaient jamais aussi bien vu le monde que depuis sa transformation. Elle vivait dans le secret, dans un monde de mensonge qui ne faisait que masquer les évidences. Ce qui est différent nous fait peur, ce qui est inconnu nous terrifie. C’est pour cela qu’elle ne pouvait rien dire de sa propre nature. Elle n’entrait plus dans les normes, les normes connues et reconnues par les hommes. Elle-même, elle avait eu peur au début. La peur c’est humain, mais on est ce qu’on est. Mais aujourd’hui, elle trouvait que cela avait quelque chose d’injuste de devoir maintenir et préserver ce genre de secret. Elle n’était peut-être plus normale mais rien n’avait changé. Elle n’était pas différente. Elle avait toujours son fichu caractère et elle continuait à vivre normalement. Mais malgré tout, elle savait que ce monde continuerait de la rejeter, de la repousser vers la berge, comme une vague avec toujours plus de force. On veut un monde rationnel mais … s’il n’existait pas de rationnel ? On ne peut pas expliquer l’origine de la mort et pourtant on consent à sa présence. Mais dès lors qu’on devient une incohérence vivante, réelle et perceptible, plus personne ne veut de nous …
Alice regardait le paysage changer sous la fenêtre lorsque soudain, il n’y eu plus de route, plus de bitume, de signalisation Le bus entra dans une sorte de gros tunnel et ce fut le noir complet, comme si on nageait dans un trou noir, perdu dans le cosmos à des années lumières. Puis, en quelques minutes à peine, la lumière jaillit à nouveau et le bus se stoppa, ouvrant ses portes en souhaitant la bienvenu aux premiers élèves qui descendaient. Alice se leva la dernière, remerciant le chauffeur qui lui souhaitait bonne chance. Elle s’avança vers cette terre inconnue qui lui parut dans un premier temps austère et terrifiante. Devant elle, les élèves habitués s’étaient mis en marche, empruntant un sentier à travers les bois. Alice se mit à les suivre, sa valise à la main, restant silencieuse, ne faisant qu’observer ce nouveau décor qui s’offrait à sa vue pour la première fois. Elle marchait, elle aussi parmi ses arbres, en quête du nouveau refuge qui allait l’accueillir pour au moins une année. Son regard se posait un peu partout, sur une simple feuille, sur un élève qui venait de laisser apparaitre une langue fourchue et bleue pour attraper une mouche, sur un simple buisson. Elle mémorisait le chemin comme pour connaitre l’issue de secours. Et puis finalement, le bâtiment apparut, sortant fièrement d’entre les arbres. Le portail de ferraille de noir était ouvert en grand comme tendant les bras à tous les petits et grands monstres qui affluaient de toute part. Et Alice suivit cette masse, se retrouvant finalement dans ce qui semblait être le hall.
C’était un grand espace maculé de blanc avec d’immenses escaliers qui semblaient se perdre dans le plafond, donnant à la pièce une perspective impressionnante qui donnait le vertige. Les élèves arrivaient par flux, pareil aux oiseaux migrateurs. Certains se croisaient sans se connaitre, d’autres se regardaient du coin de l’œil et certain se contentait de retrouver leur ami dans la masse qui ne cessait de grandir. Alice se posta dans un coin, un peu à l’écart, cherchant à éviter tout ce tumulte qui lui cassait déjà les oreilles, oreilles devenus bien plus sensibles depuis qu’elle était poisson. Mais alors qu’elle se dirigeait vers son petit espoir de replis, une espèce de crétin lui fonça dessus, envoyant valser sa valise dans les airs. La pauvre valise retomba sur le sol, rependant tout les vêtements d’Alice sur le sol. La jeune femme sentit la colère parcourir son corps tout entier. A cet instant son regard si pâle vira au bleu marine, c’était bien simple, elle bouillonnait intérieurement. Il lui fallut bien une minute pour seulement pouvoir à nouveau bouger tant la fureur s’était emparée d’elle. Elle se baissa, tentant de reprendre son calme.
~.~Aller Alice, respire..~.~
Elle ramassa ses t-shirts, jeans et malheureusement aussi quelques uns de ses sous-vêtements. Elle tendit la main pour atteindre le dernier sweet mais elle ne put qu’attraper une.. autre main ? Alice se redressa, elle n’avait pas l’habitude qu’on l’aide surtout dans se genre de situation. Elle imaginait très bien Lukas se tordre de rire en la voyant obliger de tout ramasser.
-Je crois qu’on peut dire que c’est une entrée fracassante ... Merci.
Elle cligna un peu des yeux pour faire disparaitre leur couleur si sombre. Elle adressa un petit sourire à son(sa) nouvel(le) interlocuteur(trice), récupérant le dernier de ses vêtements d'entre ses mains. Jetant un bref coup d’œil à l’état pitoyable de sa valise, qui gisait à demi morte sur le sol.
~.~Je sens que ça va être une très très longue journée~.~
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