HISTOIRE

« Il était une fois » c'est comme ça que commence la majeure partie des histoires, c'est comme ça qu'aurait pu commencer la mienne, toutefois, toutes les histoires qui commencent pas « il était une fois » se finissent par « ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants », permettez donc que j'omette cette formule d'ouverte.

Je suis née il y a dix-huit ans d'une licorne, ma mère, et d'un pégase, mon père. La génétique un peu particulière de ces deux autres aurait voulu que je sois soit l'un, soit l'autre, toutefois, à la naissance, si j'étais belle et bien dotée d'ailes, j'avais également une corne qui naissait sous mon front. Ainsi, j'étais l'une des rares unisus qui peuplait le monde. Je n'eus pas réellement une vie mouvementée, à l'écart au fin fond d'un forêt, j'écoulais des jours heureux avec mes parents. Ils m'apprenaient l'essentiel de ce que je devais savoir, mais ne m'envoyèrent jamais de leur plein gré en dehors de ces murs qui me retenaient prisonnière d'une cage dorée. Je n'avais pas réellement à me plaindre de toute façon, même si un jour il me prit l'envie de regarder par la fenêtre, et d'aller voir l'extérieur. En parler avec mes parents s'avéra inutile, et je reconnais qu'ils avaient les arguments pour me convaincre ; je n'y connaissais rien, je savais simplement qu'au delà de cette barrière qu'ils m'imposaient il y avait des humains qui m'avaient jusque l'or été décrit comme des êtres cruels et sans scrupule. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle Dieu nous avait permit de prendre leur apparence, car l'humain était bête, et naïf. Je savais également qu'il y avait, dispersés sur la surface du monde, d'autres monstres, chacun différent selon leur nature, mais en sommes, c'était tout ce que je savais. Mais du haut de mes huit ans, que pouvais-je y comprendre à la dangerosité du monde ? Pas grand chose. De toute façon, je n'étais pas du genre à écouter tout ce que l'on me disait. Oui, je le reconnais, lorsque l'on me disait de ranger ma chambre, la plupart des jouets finissaient sous le lit. Mais au point de sortir de la maison sans leur permission, mes parents n'y auraient jamais cru. Peut-être auraient-il dû. Un beau matin, profitant de leur inattention, je posai un sabot dehors, puis deux, avant de me permettre de gambader joyeusement au milieu des arbres et des buissons. Je trottai de manière insouciante jusqu'à des rapides non loin de chez moi. Je m'y abreuvai, amusée du mouvement, et de la vie qui y régnait. Soudain, des bruits de pas attirèrent mon attention. Je me redressais vivement, oreilles pointées vers l'origine de ce bruit. Sortit alors d'un buisson un garçonnet, qui avait l'air surpris. N'en ayant jamais vu d'aussi prêt, je m'enfuis rapidement. Je l'entendis alors élever la voix
Eh ! Attends ! S'écriait-il
Mais je n'attendais guère. Cependant, il n'avait rien de semblable aux hommes sans pitiés que m'avaient jusque là décrit mes parents. La curiosité l'emportant, je me cachai derrière un rocher, l'observant de loin. Il s'approchait, titubant, essayant d'éviter les petites racines qui lui arrivaient aux genoux. Il ne devait pas être loin de mon âge, mais était bien moins adroit, comme un bambin qui apprenait tout juste à marcher. Puis, tandis que je l'observais, je me rendis compte que l'on se trouvait nez-à-nez. Prise de panique, je tentai de m'enfuir, mais cette tentative fut bien vaine puisque je me pris les pattes de devant de celles de derrière en tentant une marche arrière. Je retombai ainsi bien piteusement sur mon postérieur
Ne t'en fais pas, reprit le petit garçon, je ne te veux pas de mal...
Il tandis doucement sa main vers moi, et je ne pus m'empêcher de humer sa paume. Je l'ignorais, mais je fus là mon premier contact avec Akiyo, celui qui deviendrais un jour mon petit ami.

Je me rendis vite compte que l'enfant était des plus inoffensifs. Nous avons vite sympathiser, et il n'étais pas rare que je m'éclipse de la maison pour aller le retrouver. Il m'apprit à apprivoiser ma forme humaine, tandis que je lui redonnais le sourire ; atteint d'une maladie dont il ne retenait pas le nom, il passait sa vie entre hôpitaux, et forêt. Quand mes parent apprirent que je sortais de la maison sans leur permission, autant vous dire que ce ne fut pas la joie. Toutefois, il était trop tard, je refusais de renoncer à ma liberté, et surtout à mon amitié avec Akiyo. Après maintes négociations, ils finirent par accepter cette réalité nouvelle, et plutôt que se voir au croisement d'un sentier et d'un cours d'eau, le jeune garçon venait régulièrement à la maison. Quand j'eus quatorze ans, mes parents admirent que j'aille à l'école. Après tout, je n'étais seule... Dès lors, je ne compris jamais pourquoi mes parents m'avaient tenus si longtemps éloignée de cette vie, et je passai les plus belles années de ma vie. Du moins, c'était ce que je croyais. Deux ans plus tard, Akiyo rata plusieurs jours d'affilé l'école. Je me rendis dès lors chez lui, mais personne ne m'ouvrit la porte. Me voyant m'acharner sur une sonnette innocente, le voisin sortir de chez lui, et m'interpella
Ils sont avec le petit à l'hôpital !
Depuis quand ? L'interrogeai-je sentant une certaine inquiétude prendre place dans mon coeur
Oh ! Depuis bien deux, trois jours.
En fait, cela faisait cinq jours, et Akiyo n'allait plus jamais en sortir. Bien qu'il le savait, il ne me fit jamais part de cette vérité, sans doute avait-il peur que je m'enfuis. Je me rendis compte plus tard que si au début, ses camarades venaient lui apporter leur réconfort, plus les semaines passaient, plus ils l'oubliaient. L'humain était donc ainsi fait. Pour ma part, il me paraissait inconcevable de ne pas m'y rendre ne serait-ce qu'un seul jour. Un mois passa, et j'y passais le plus clair de mon temps. Un mois et demi, et ce fut notre premier baiser. La légende dit qu'une licorne, ainsi que les êtres qui en découlent, ne donne son amour qu'une seule fois. Quelle idiotie dès lors que de donner le bien à un malade, mais je refusais d'admettre la réalité. J'étais comme dans une bulle, et la vérité ne parvenait pas à mes oreilles. Je l'aimais, et dans des cas comme celui-ci, on écoute que nos rêves, aussi fantaisistes soient-ils. Pourtant, trois mois plus tard, il ferma définitivement les yeux, aux alentours de minuit. Depuis, moi-même quittai l'école, je n'éprouvais plus l'envie d'y aller. Les regards compatissants de mes « camarades » me dégoutaient plus qu'ils ne m'encourageaient. Pouvaient-ils comprendre ? Bien sûr que non. Les seuls qui se faisaient réellement du soucis à mon sujet c'était mes parents. Et même si je faisais de mon mieux pour sortir de cette détresse, rien n'y faisait.

Six mois avaient passé lorsqu'ils prirent une résolution sans précédent. Lorsqu'ils m'annoncèrent le nom de cette solution, j'avoue, je restai perplexe. « Monster Academy », un nom fort étrange, tout comme leur décision, eux qui rechignaient à me laisser partir. Toutefois, je n'avais pas le courage de les contester. Ce ne fut pas réellement une mauvaise chose de m'y retrouver d'ailleurs. Loin d'eux, j'étais obligée de me débrouiller par moi-même, ce qui me permettait d'avoir la tête occupée. C'est ainsi que je me retrouve aujourd'hui exilée à des kilomètres de ma vallée natale, au milieu de gens qui me ressemblent à peu près, rassemblant les morceaux d'un cœur qui pensait ne plus jamais battre à nouveau.